Rappelons dans un premier temps ce qu’est la dépression au sens médical du terme
Tout d’abord, le diagnostic est posé par un médecin généraliste ou psychiatre, à partir de critères précis recueillis lors des échanges avec leur patient et/ou la passation d’un questionnaire (appelé échelle d’évaluation).Tout ceci se fait en référence aux critères figurant dans le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5). Il faut ainsi qu’il y ait pendant plus de 2 semaines une tristesse ou une perte de plaisir associé à au moins 4 des symptômes suivants :
-ralentissement des mouvements et de la pensée,
-diminution des capacités de concentration et mémoire,
-troubles du sommeil et de l’appétit,
-fatigue,
-croyances négatives (culpabilité, pessimisme, …),
-idées suicidaires.
Il peut y avoir également des formes atypiques de dépression avec …l’inverse : augmentation de l’appétit, du sommeil, agitation, …
Vous voyez déjà là qu’une idée reçue chancelle (en tous les cas je l’espère): non la dépression n’est pas qu’un état d’humeur mode tristesse, c’est bien plus que cela. L’ensemble des troubles évoqués ci-dessus nous en dresse une image plus riche et nuancée .Donc oui, sans tristesse il existe de la dépression ! Rappelons nous également que la tristesse dans le cadre d’une dépression n’est pas comparable à la tristesse du quotidien, qualifiable de « douce », inconfortable. La tristesse dans le cadre d’une dépression relève de la souffrance. Et c’est bien plus qu’inconfortable, c’est très douloureux. Il y a ainsi des formes de dépression au-delà de la tristesse, où le vide prédomine. Pas de désir, pas d’envie, pas de plaisir….Tout est fade, sans saveur. Même sur les activités, aliments, etc qui nous faisaient du bien avant. C’est une anesthésie progressive des émotions. On parle d’anhédonie.
Attardons-nous également sur un symptôme récurrent dans la dépression et qui encourage le « repose-toi, ça ira mieux après, tu es juste fatigué » de notre entourage : la fatigue. Quand je suis surmenée, je suis très fatiguée, le repos est nécessaire et suffisant. Mais quand je souffre de dépression, la fatigue peut être extrême et le repos insuffisant. Voire contre productif : plus je me repose plus je suis fatiguée. Je dors à n’en plus finir et pourtant, je suis fa-ti-guée. « C’est un peu comme si le repos venait creuser le sillon de la fatigue », Hugo BOTTEMANNE, psychiatre. On parle d’asthénie.
Après le portrait rapide de cette maladie au diagnostic pas si évident que ce nous pensons naïvement, abordons une approche de la dépression différente des présentations habituelles, telle que la propose le psychiatre Hugo BOTTEMANNE. Il convient selon lui de voir la dépression comme une altération profonde de notre façon de voir la réalité, davantage que comme un trouble majeur de l’humeur. Le cerveau se transforme en effet progressivement, ce qui va bien au-delà de la tristesse (un symptôme parmi d’autres et comme vu au-dessus, pas toujours présent).
Ainsi, l’attention se porte de plus en plus vers des éléments négatifs (au détriment des éléments positifs bien sûr). Lesquels poussent à considérer le monde qui nous entoure comme incontrôlable, à ruminer nos échecs et autres blessures. Nos pensées sont envahies par des regrets, des remords, mais aussi des doutes, des anticipations négatives. Cela fait malheureusement le lit douloureux de l’à-quoi-bonnisme (à quoi bon m’engager dans une relation amoureuse puisque je vais d’échec en échec, à quoi bon me soucier de la bonne tenue de mes comptes puisque je peux m’attendre au pire concernant l’avenir, …). Et en plus, il devient de plus en plus difficile de se détacher de ces pensées négatives mais également de voir les éléments positifs qui nous entourent ! Cercle vicieux redoutable qui auto-entretient des croyances négatives (je suis nul.le, il ne m’arrive que des problèmes, la vie est dure, je suis un fardeau pour mes proches…).
Bien entendu, c’est le fonctionnement normal du cerveau que de déformer la réalité, de la filtrer (représentations, attentes, croyances, …). C’est utile pour prédire, percevoir le monde, simuler le résultat de nos actions. Mais dans la dépression, le cerveau déforme de plus en plus le réel, de manière pathologique. Il n’arrive également plus à déterminer la fiabilité des informations, les peser en termes de pertinence, les relativiser. Les informations ambiguës sont interprétées de préférence négativement. Y compris, et c’est quand même dingue, les émotions faciales ! Le sourire d’un passant peut être perçu, dans le doute, comme une moquerie.
En conséquence, la dépression est potentiellement liée à des troubles de la prédiction et de la prévision. Une personne atteinte de dépression n’arrive plus à mettre à jour ses croyances et reste coincée dans une vision du monde déformée.
Autre fonctionnement de ce cerveau décidément incroyable : les connections entre vos milliards de neurones (c’est chimique, c’est électrique, c’est épatant) créent des « routes » pour les informations dans votre cerveau. À force d’être empruntées (depuis l’enfance parfois, imaginez la solidité de ces voies !), certaines routes deviennent des autoroutes : l’information circule très très vite, automatiquement et à votre insu. C’est bienheureux dans de nombreuses situations quotidiennes. Mais cela devient problématique quand ce sont toutes les informations négatives qui prennent ces autoroutes : un fait ou une situation va déclencher automatiquement une pensée négative, y associer une émotion (en général inconfortable) et renforcer une croyance (fort logiquement toujours négative).
Tout ceci est complexe me direz-vous. Oui, c’est pour cela que recourir à des professionnels formés à la démarche diagnostique est nécessaire. Ni l’intelligence artificielle ni les forums de discussion ni l’avis de ma voisine (qui prend des anti dépresseurs, ça veut bien dire qu’elle s’y connaît, elle, en dépression. Elle connaît SA dépression, nuance importante) ne sont à rejeter avec horreur ; ils sont juste à prendre avec précautions et nuances, et si possible avec une aide professionnelle adéquate. Si recourir à un psy (psychiatre, psychologue*) vous rebute (mais pourquoi en fait ?), ayez le réflexe de parler de l’ensemble de vos troubles à votre médecin traitant car vous voyez bien qu’il n’y a pas que l’humeur triste qui compte. Le recours à des traitements médicaux peut être nécessaire, ou non. Donc on « n’emprunte » pas l’antidépresseur de sa femme en attendant d’avoir le temps d’aller voir un médecin ou un psychologue. Le recours à la psychothérapie est recommandé bien sûr et vous voyez désormais pourquoi : pour travailler sur vos perceptions fausses pardi ! Pas uniquement pour accueillir votre souffrance et vos plaintes (mêle si c’est important!). Il s’agit de travailler sur vos pensées négatives, émotions et croyances associées, qui sont des automatismes à critiquer et contrarier en toute sécurité, avec un thérapeute habilité. C’est un travail qui peut être ponctuel, ou à répéter au fil de son existence pour bien tracer ces nouvelles routes neuronales bien plus confortables que ce téléguidage autoroutier.
PS : petite discipline que je vous recommande en terme éthique : dire plutôt «mon voisin agriculteur souffre de dépression» (c’est fréquent d’ailleurs), « mon médecin est atteint de dépression » (ce n’est malheureusement pas rare). et non « mon psy est dépressif » (pfff, jamais). La personne souffrant de dépression reste bien plus que la maladie qui l’assaille.
*Vous trouverez sur mon site l’énoncé de la différence entre les professionnels PSY-commençant (psychologue, psychiatre, psychothérapeute, psychanalyste, psychopraticien.
Sources principales : Hugo BOTTEMANNE, psychiatre, France culture, novembre 2024
Echange avec Michel DESERT, psychologue, séance supervision septembre 2025